Voilà une éternité que je n'ai pas touché la douceur d'une plume, que je n'ai pas vu l'encre percer le grain, ou du moins me semble-t-il que des siècles se sont déroulés sous mes yeux sans que je ne puisse m'adresser à vous. Cela ne vous fait-il pas pleurer certaines nuits ? Cette distance entre nos maisonnées, entre nos cœurs et nos joues. Nous avons cette habitude de les embrasser, de les voir rougir de malice et de plaisir, de cueillir les fleurs et se les tresser dans nos toilettes qu'il est difficile de contraindre cet hiver, s'étant installé entre nous, de réchauffer notre solitude. Hier soir encore j'en avais les larmes aux yeux, peut-être suis-je atteinte d'une névrose mélancolique, ou bien d'une fièvre pour me sentir si sensible, mais votre amitié me manque terriblement. Avec toutes ces émotions, j'en ai oublié de prendre de vos nouvelles. Oh, comment vous sentez-vous ? Avez-vous récolté autour de vous quelques douces histoires ou terribles rumeurs ? Y a-t-il quelque-chose qui pourrait me nourrir, me projeter hors de mon quotidien si monotone ? J'ai terminé, il y a quelques heures de cela, un châle brodé de roses et de lys, comme j'aimerai tellement vous l'offrir, il se marierait si bien avec l'or de vos cheveux. Je n'ai cessé de penser à nos plaisanteries, et ces mémoires mielleuses ont surement influencé mon ouvrage. Maman m'a dit qu'il détenait une profonde nostalgie, ce châle... Oh si vous saviez comme je m'ennuie. Comme ma vie est tragique coincée dans cet environnement si rustique, dans cette famille aux manières revêches. Les Brotz n'ont de splendide que la réputation de leur nom. Ils sont une meute de loups. Mais moi, oh ma pauvre personne, je ne suis ni une louve ni quelconque créature aux crocs acérés, j'ai le cœur léger et les paumes tendres. Je vous en prie, ma chère, écrivez-moi plus souvent, sauvez-moi de cette platitude.
Votre Lili.
contenance:
*le "vous" rentre dans la théâtralité de delilah et son "maniérisme", son comportement trop "noble", son romantisme
les lettres sont joliment arrondies, le papier a l'odeur de la lavande et de l'enveloppe se dégage une mèche de cheveux ébène attachée d'un ruban crème.